Le Québec appelle au suicide

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Par Hadj Zitouni, Mouvement Action Justice (MAJ)

Organisme à but non lucratif en défense des droits

Montréal, le 3 février 2025.

Chaque jour, le Mouvement Action Justice reçoit des appels à l’aide. Des citoyens cherchent du secours. Ils nous supplient d’agir rapidement et souvent, nous demeurons impuissants face aux drames humains que notre société vit par défaut à les résoudre.  

De temps en temps, nous partageons ces cris d’alarmes, ces douleurs et ces souffrances via nos écrits. Considérez ce moyen de communication comme acte de notre dernier recours.   

Voici, l’histoire de Mademoiselle Wàng Vi, une Québécoise 100% pure laine qui, dans la fleur de l’âge, pense à nous quitter parce qu’elle n’est plus capable de supporter…

Mardi, le 2 mai 2024. Il est environ 9h15.

Foudroyée par les mots qu’elle vient à peine de décrypter, Mademoiselle Wàng Vi renonce à sortir de chez elle. Elle cède la poignée de la porte pour se concentrer davantage sur la feuille qu’on venait, probablement, d’afficher sur sa porte quelques heures auparavant. Le message collé au milieu du panneau est anonyme, dactylographié en caractères gras. Dans un mandarin singulier, elle peut lire : 

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Ce surprenant communiqué la fige sur le seuil. Les yeux subitement écarquillés, les mains tremblantes, elle se mordille les lèvres, Mademoiselle Wàng Vi. La communication adopte un mode impératif, violent, déversant une haine extrême et un rejet glaçant.

Deux guillemets referment la phrase, pas de point. Rien d’autre. Aucun expéditeur, aucune justification à cette sommation cruelle, âpre, cinglante, horrifiante.  

Mademoiselle Wàng Vi reprend lentement la lecture du message. Les mots se traduisent, détonnent comme des étincelles, par fragments d’interprétations brûlantes. Elle décèle la menace, Mademoiselle Wàng Vi. Les mots ciblent directement sa mère et elle. D’apparence, elles sont les seules Asiatiques à habiter l’endroit. L’immeuble est situé sur la rue Ryde, dans le secteur Sud-ouest de l’île de Montréal, à proximité de la station de métro Charlevoix. Il appartient à l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM).

Transitant d’un mot à l’autre comme une traversée à haute risque, l’air affolé, elle reprend une fois de plus la lecture du message. Sa crainte file à toute vitesse. À cet instant imprévu, presque inattendu, elle s’est figée Mademoiselle Wàng Vi dans le temps, dans l’espace. Son regard révulsé lui enfile la menace qui se dessine dans sa mémoire. Des formes hallucinantes se bousculent dans son esprit en boules de feux l’envahissant progressivement.

Mademoiselle Wàng Vi souffre de troubles psychotiques depuis son adolescence. Durant des années, sa mère Madame Chàng Lee, l’a conduite à la clinique externe de l’Hôpital chinois de Montréal pour la faire soigner. 

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Les lanternes, les statues, les peintures et les calligraphies chinoises lui rappelaient le dispensaire de son village natal en Chine. Ainsi ce centre de services de santé devint un refuge de soins pour elle et sa fille Mademoiselle Wàng Vi. L’ambiance lui évoque un sentiment familier de jadis. Elle y trouve un excellent lieu de rencontre, un espace typiquement chinois où, à la réception un Bouddha sculpté en bois à hauteur d’un nain entouré de végétation artificielle, les yeux tirés en amandes veille sur tout le monde. 

Lors de ces rendez-vous médicaux, les femmes chinoises causent sans arrêt. Elles se transforment en moulin à paroles sans se plaindre réellement de leur vie.

Les soins reçus à l’hôpital chinois de Montréal ont porté fruits à Mademoiselle Wàng Vi. Grâce à leurs suivis, ses crises d’angoisse, d’anxiété et ses dépressions ont considérablement diminué aux cours des années. 

Sauf que là, plantée dans le cadre d’entrée de son domicile, terrassée par la peur et la douleur, Mademoiselle Wàng Vi ressent subitement des frissons, des sensations de chaleur intenses qui lui remontent au visage, au cou, au dos. Le front imbibé de sueurs froides et une envie de vomir lui prend à l’estomac. En scrutant l’horizon d’un retour probable du pic de l’intensité de sa psychose, Mademoiselle Wàng Vi multiplie des respirations profondes. Elle repousse le ressac de ses idées suicidaires qui lui revient de loin. 

Bien entendu que cette jeune femme s’attache à la vie mais, par moment, elle se sent anéantie au point de ne plus vouloir s’y accrocher. Là! Suspendue dans le vide dans lequel elle se retrouve et le silence qui l’émerge à flots, elle ne fait que verser un déluge de larmes.

Hésitante, comme si elle s’apprêtait à désamorcer un engin explosif, sa main droite tremblante s’immisce spasmodiquement et décroche la feuille du milieu de la porte. Tout au long de cette tâche qui lui incombe de décoller la feuille en prenant soin de ne pas l’altérer en guise de pièce à conviction, Mademoiselle Wàng Vi demeure terrifiée. Elle cherche à s’évader de l’instant qui pèse lourd sur elle au point de l’étouffer. En fin de compte, elle réussit à extirper un pas en arrière et finit par rentrer chez elle. Elle ferme la porte à double tour et s’assure que celle-ci soit bien verrouillée. Les messages haineux, comme celui qu’elle vient de recevoir, la rendent agitée, angoissée, voire malade, même très malade.

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D’un pas lourd et avachi, elle avance vers sa chambre, sillonnant un couloir étroit, peu éclairé jusqu’au bout. Elle dépose la feuille sur sa table de chevet et elle s’écroule d’emblée sur son lit, les bras étendus le long du corps, les yeux fixant le blanc jaunâtre du plafond.

Sa mère occupe la chambre voisine à la sienne. Malentendante et souffrant de maladie mentale, Madame Chàng Lee ne quitte presque jamais l’appartement, sauf pour se rendre périodiquement à ses rendez-vous médicaux. Mademoiselle Wàng Vi passe son temps à s’occuper d’elle à plein temps. Après avoir séché plein de cours, elle a abandonné les études et n’avait d’autres choix que de sacrifier le reste de sa vie à prendre soin de sa mère. 

Bien que Mademoiselle Wàng Vi adore sa mère, il lui arrive de vouloir l’étrangler dans son sommeil ou de lui écraser à fond un oreiller sur le visage. À quelques reprises, ses tentatives ont toutes échoué au berceau, l’une après l’autre. Chacune de ses tentatives lui a laissé place à des crises d’hystéries difficiles à dépister pour les psychiatres qui la traitent périodiquement. Toutefois, avec des doses parfois élevées, elle demeure sous contrôle médical. Mademoiselle Wàng Vi ne s’est jamais confessée à qui que ce soit de ses tentatives d’assassinats ratées, d’autres repoussées et chaque fois remises à plus tard.    

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Sa mère lui a enseigné le mandarin dès son jeune âge sans obtenir les résultats escomptés. Elle voulait à tout prix que sa fille garde des points de repères de ses origines. La mère répétait à sa fille qu’un jour elle aura besoin de ces jalons d’attachements. Malgré ses espoirs, le Québec faisait peur, très peur à Madame Chàng Lee. Aujourd’hui, heureusement, elle ne s’en préoccupe plus. Elle est atteinte d’une maladie qui la déconnecte de la réalité, sinon quelques bribes de souvenirs tentent durement de la ramener à son vécu.  

Après des années de sacrifice et de dévouement à vouloir construire une nouvelle vie au Québec et ouvrir une voie de réussite à sa fille, Madame Chàng Lee a fini par perdre la tête à la volée. Pour Mademoiselle Wàng Vi, de sa mère, il ne reste plus que le corps, une enveloppe froissée sans contenu réel. 

Cette mère qui a eu un arrêt brutal de travailler au noir fut exploitée jusqu’à sa dernière contrainte. Elle a espéré sortir de la misère la pauvre maman, sans succès. Son travail dans les magasins d’épiceries, d’alimentation et les restaurants du quartier chinois de Montréal a fini par l’user jusqu’à l’os. Le surpassement des proprios a fini par la mettre à terre.

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Page 1 (à suivre)

Une nuit d’hiver, 2012

Cette nuit-là, Madame Chàng Lee est rentrée tard chez elle, un peu plus tard que d’habitude. Sa qipao était déchirée au niveau de l’épaule et des bleus paraissaient sur son cou. Elle tremblait comme une feuille Madame Chang Lee. Elle passa deux jours enfermés dans sa chambre lorsque sa fille a décidé de l’affronter pour découvrir une femme indifférente, infortunée, heurtée. Mademoiselle Wàng Vi trouva de l’aide dans le centre de santé communautaire de l’arrondissement de Verdun. Deux travailleuses sociales accompagnées d’une traductrice sont intervenues auprès de la maman Chàng Lee. On voulait connaître la cause de ce changement brusque et inquiétant chez elle. Puis, des enquêteurs du SVMP, Service de la Police de la Ville de Montréal, se sont joints à l’équipe mais, peu de temps après, ils se sont retirés.

Madame Chàng Lee resta introvertie, silencieuse pour une longue période de temps. Des jours, des mois, même des années sans jamais se remette d’un état de trouble de stress post-traumatique. Devant son mutisme, les enquêteurs n’ont pas cherché à aller plus loin. Le dossier fut classé pour manque de collaboration. 

Une famille au Québec. 

À dire vrai, Mademoiselle Wàng Vi s’en fiche éperdument de ses origines. Elle ne conserve que des photos, des traits qui lui collent au visage en permanence. Pour ceux et celles qui la connaissent, elle est Québécoise 100%, pure laine, qu’elle le veuille ou non. Venue au monde dans le Centre Sud-de- l’île de Montréal, l’essence de son appartenance au Québec coule dans ses veines. À dix-sept ans, elle a abandonné ses études et a repris la relève de sa mère au travail. En plus, elle s’en occupait pleinement de celle-ci. Voilà comment Mademoiselle Wàng Vi s’est retrouvée sans le vouloir dans ces endroits où sa mère a bossé depuis son arrivée au Québec.  

Pendant cette période où elle aussi fut employée au noir, Mademoiselle Wàng Vi ressentait des fracassements et des parties se pulvérisées dans son cerveau. Un cliché défilait dans son esprit, il lui dévoile sans cesse la triste fin brutale de sa mère. Elle pensait à y mettre le feu, brûler le quartier chinois en entier. Sauf, qu’au plus profond d’elle, Mademoiselle Wàng Vi cherchait nettement à éliminer sa mère en premier, la supprimer, l’effacer de sa mémoire pour de bon.  

En ce qui concerne son père, elle ne garde aucun souvenir autre qu’une photo enfermée dans un pendentif médaillon autour de son cou. Selon sa mère, son père est devenu picoleur du jour au lendemain et s’est suicidé une nuit d’hiver en se jetant du pont Jacques-Cartier. Quelques années plus tard, le gouvernement fédéral du Canada a colmaté cette brèche en dressant une clôture de métal recourbée au-dessus du parapet du pont pour stopper les vagues de suicides. Plusieurs pertes de vies d’innocents ont été enregistrées sur cette passerelle. 

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Un instant de courage.  

Maintenant assise sur son lit, Madame Wàng Vi reprend la feuille. Elle explore ces mots qui la transpercent de nouveau. À la recherche d’indices, elle scrute chaque mot, chaque lettre, chaque signe de ponctuation. Elle n’en exhume que la peur en supplément. Déterminée, elle retient sa respiration un moment puis elle expire lentement, redresse son corps, décroche le téléphone et appelle le poste de police de son quartier (PDQ15).

Elle s’identifie, Mademoiselle Wàng Vi, à la policière qui l’accueille au téléphone. Elle lui fait part de la menace et de sa crainte en lui lisant la sommation qui lui a été adressée. Elle informe la policière qu’elle avait conservé la feuille intacte pour le travail des enquêteurs.

La policière réceptionniste du PDQ15 l’apostrophe sèchement :

Mais de quoi tu parles ?

Je parle de la feuille qui porte la menace de …

La policière lui confisque la fin de sa phrase :

– Écoute, je te conseille d’appeler la Régie du logement en premier.

Immédiatement, Mademoiselle Wàng Vi la corrige et lui rappelle qu’il s’agit d’un acte criminel odieux et que ce genre d’évènement ne relève pas de la juridiction de la Régie du logement. La policière augmente sévèrement le ton, alors que la voix de Mademoiselle Wàng Vi en sanglots s’éteint pour se rependre calmement. Elle informe la policière qu’elle a déjà été victime de menaces et subit du harcèlement dans le passé. Elle insiste que cette fois-ci sa crainte augmente, qu’elle a peur aussi pour sa mère malade. La policière en service lui répond d’un ton impatient : 

– Tu perds mon temps et je n’ai pas juste toi au téléphone. Vas-y en premier à la Régie du logement! Comprends-tu? Et laisse-moi tranquille avec tes conneries de voisins! Appelle ton propriétaire! Ok?

Mademoiselle Wàng Vi tente d’expliquer que l’immeuble n’appartient pas à une personne, mais plutôt à l’OMHM, l’Office Municipal d’Habitation de Montréal.

La policière parle à quelqu’un de son bureau et reprend la ligne. Elle demande à Mademoiselle Wàng Vi si elle avait bien compris?

Cette dernière répète qu’elle n’a pas de propriétaire et que l’immeuble appartient à l’OMHM, l’Office municipal d’habitation de Montréal.

La policière riposte: 

– Alors appelle les services de L’OMHM.

– Madame, j’ai déjà… 

Elle n’avait pas fini sa phrase, Mademoiselle Wàng Vi, quand la policière lui crie sur un ton imposant, voir méprisant:

– Écoute bien, si tu nous appelles encore, on va être obligé de t’arrêter pour harcèlement! As-tu compris ce que je viens de te dire?

Voie de fait contre une personne vulnérable!

Mademoiselle Wàng Vi lâche le combiné du téléphone qui tombe par terre. On peut entendre une tonalité qui s’échappe de l’appareil avertissant que la personne à l’autre bout du fil a raccroché. 

Les respirations de Mademoiselle Wàng Vi s’accélèrent, atteignent la détresse. Son cœur lui fait terriblement mal. Sans le moindre mouvement, elle se met à transpirer. Une sueur froide lui couvre le front à nouveau. Elle se penche de son lit pour ramasser le téléphone et subitement, elle s’écroule en se glissant au sol. Sa main attrape l’appareil et elle compose le 911. 

Elle demande l’assistance d’une ambulance. Elle informe l’opérateur qu’elle est victime de voie de fait sur personne vulnérable. On lui demande si l’agresseur est sur le lieu, elle dit non. On lui demande si elle pouvait le ou la décrire? Elle précise que c’est une policière qu’elle n’a jamais vue, ni rencontrée. L’opérateur marque un temps de silence et puis il reprend son questionnaire:

– Mais Madame, comment pouvez-vous prétendre qu’il s’agit de voie de fait alors que la présumée agresseuse n’a jamais été présente sur les lieux ?

Mademoiselle Wàng Vi enchaine qu’elle venait d’avoir une conversation téléphonique avec le poste de police de son quartier (PDQ15).  Elle raconte qu’elle voulait déposer une plainte au criminel et que la policière, réceptionniste de l’appel, s’est montrée agressive à son endroit, condescendante, vexatoire. Selon Mademoiselle Wàng Vi, l’acharnement de la policière à ne pas recevoir sa plainte fut nettement pire que des coups de poings et des coups de pieds. 

Mademoiselle Wàng Vi insiste qu’elle a encore et toujours mal au cœur, mal au ventre et qu’elle a beaucoup de difficulté à retrouver une respiration normale. Lassée de son questionneur, elle presse l’opérateur de cesser de lui poser des questions. Celui-ci lui demande si elle a des problèmes de santé mentale. Mademoiselle Wàng Vi ne répond pas. L’opérateur continue à l’appeler par son nom, mais l’appel fut en vain.

Rendue sur une civière à l’hôpital de Verdun, les deux ambulanciers aident Mademoiselle Wàng Vi à sortir sa carte médicale de son sac à main. L’agente administrative de l’hôpital lui demande son adresse, le nom de sa mère, celui de son père et le nom d’une personne à contacter en cas d’urgence, Mademoiselle Wàng Vi s’exécute. L’agente administrative en fixant l’écran de son ordinateur lui demande cette fois le nom de son pays d’origine? 

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Comme touchée par une décharge électrique, les yeux de Mademoiselle Wàng Vi s’ouvrent grandement et lance un regard éclair qui fige la préposée quelques fractions de seconde puis l’intensité du regard s’égare lentement dans le vide. Un silence froid, saisissant, s’installe entre les deux femmes. L’agente administrative l’air embarrassé, reformule sa question autrement pour lui redemander sur un ton moins élevé, mais sec :

– Êtes-vous née au Québec Madame?

Mademoiselle Wàng Vi laisse sa joue droite tomber sur l’oreiller de la civière et demeure les yeux vagues. 

L’agente administrative, une femme obèse dans la soixantaine qui tenait un sac de chips grand format sur son bureau et une bouteille de coca finit par se lever difficilement de sa chaise. Elle s’approche de Mademoiselle Wàng Vi :

– Ma belle, je suis en train de compléter votre dossier médical et il reste cette question et après, les infermières vont bien s’occuper de vous. Vous devrez me répondre. 

Et pour surmonter l’obstacle, l’agente administrative demande à Mademoiselle Wàng Vi :

– Dites-moi seulement, si vous êtes citoyenne canadienne ou non ?

– Madame, vous avez ma carte médicale, je n’ai rien d’autres à vous révéler. 

Entendre Mademoiselle Wàng Vi répondre d’une voix faible et brisée, l’agente administrative se braque vers les ambulanciers, elle explique que certains patients se sentent vexés devant ce genre de questions. Ils ne veulent pas comprendre que c’est le Ministère de la Santé qui le demande. Les ambulanciers n’ont affiché aucun intérêt à l’entendre. Celle-ci bat en retraire et rejoint son bureau.   

Les ambulanciers transfèrent Mademoiselle Wàng Vi vers une salle de triage et avant de la quitter, l’un des deux qui avait le teint basané se penche sur son oreille. Il lui souhaite un bon rétablissement et il ajoute :

– Vous auriez pu répondre à sa question. 

– Monsieur, je suis née au Québec. 

Estomaqué de ce qu’il vient d’entendre, il reprend : 

– Encore mieux, pourquoi donc vous avez refusé de lui répondre?

– Parce que la question tente d’humilier des citoyens en leur rappelant qu’ils ne sont que des étrangers.   

– Mais ce n’est pas votre cas.

– Moi, je suis classée au second rang, mais d’autres citoyens sont totalement exclus de tout rang. Vous voyez, rien ne nous empêche d’être pour le peu solidaire avec nos concitoyens.

L’ambulancier baisse la tête faisant mine de parcourir sa fiche de transport puis, il la relève lentement pour l’incliner sans plus tarder devant Mademoiselle Wàng Vi et il se retire avec un sourire d’admiration.    

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Page 2 (à suivre)

Retour à la maison

Après une nuit à l’urgence de l’hôpital, Mademoiselle Wàng Vi n’a pas eu de peine à récupérer sa mère au centre d’accueil pour personnes âgées où elle avait été placée temporairement. Madame Chàng Lee a le visage pâle, terne, les yeux vitreux grands ouverts et un regard imprécis. Elle a l’air absente, l’air de ne rien entendre ou de ne rien voir autour d’elle. Sa fille la prend dans ses bras et la serre fort. Lorsqu’elle essaye de chuchoter à haute voix quelques mots dans l’oreille de sa mère, Madame Chàng Lee ne répond pas. La fille aide sa mère à s’asseoir dans son fauteuil roulant et tout le long du retour, les deux femmes sont restées sans dire un mot. De la vitre du wagon du métro, Mademoiselle Wàng Vi examine les annonces affichées sur les quais de métro. Elle s’attarde à réexaminer ces inscriptions-cadres sur un fond orange clair qui interrogent les passagers dans toutes les stations:

Vous pensez au suicide?

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Ravi de revoir ce panneau se multiplier à l’infini dans les stations de métro, elle prend plaisir à répondre oui. Un oui spontané qui s’épanouissait largement sur ses lèvres.  

Elle s’adresse directement et à haute voix à ces panneaux qui se défilent d’un arrêt à l’autre: 

– Si le Christ en personne ressusciterait parmi nous, il ne tarderait pas lui aussi à répondre par oui. 

Elle n’était pas gênée de le déclarer à haute voix sans le moindre souci. Les personnes qu’ils l’entouraient dans le wagon simulaient des sourires artificiels, craintifs, inquiets… 

Elle était contente, Mademoiselle Wàng Vi de voir qu’elle n’était pas seule dans son choix. C’est l’unique décision mûrie et longuement réfléchie qui lui restait à affronter et la voilà réconfortée à l’arrêt de chaque station de métro: le Québec provoque, incite au suicide et choisit les endroits parfaits pour l’afficher. L’inscription ne tardait pas d’ajouter: 

On est là, pour vous.

Photo : MAJ 2025.

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Intriguée en premier par la virgule qui tente de ralentir l’élancer de la phrase, puis du coup, un NON se résout manifeste, décisif et irréfutable lui échappe sans qu’elle puisse le retenir.  

– N   O    N… Comment pouvez-vous être là, alors que c’est vous qui nous poussez au suicide !

Deux passagères qui occupaient des sièges à côté de Mademoiselle Wàng Vi changèrent de places. La rame du métro se lance à nouveau sur les rails. Mademoiselle Wàng Vi n’a même pas prêté attention au mouvement des deux passagères.  

Elle se sentait piquée au vif, Mademoiselle Wàng Vi. Son sourire disparaissait comme un flash qui s’efface laissant un visage abattu, sinistre. Lors de cet instant précis, elle a eu un désir fou Mademoiselle Wàng Vi d’être un homme l’intervalle de se tenir debout en soldat face à ces écriteaux, ouvrir sa braguette, sortir sa clarinette, vidé son trop plein et laisser entendre le son des éclaboussements de son urine sur le vitrage de ces inscriptions comme hymne national de tous les exclus au Québec. 

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Arrivées à la station de métro Charlevoix, les yeux mi-clos, les paupières chargées de fatigue, Mademoiselle Wàng Vi agrippe les poignées de la chaise roulante et débarque du wagon. La station du métro est sombre. Elle ressemble à une mine de charbon contemporaine. Ici les panneaux rappelant le suicide se trouvent aux extrémités de l’arrêt.

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L’inscription est à faible distance, quelques centimètres à peine de l’ouverture ou de l’entrée du métro à la station. C’est par cette cavité béante que les suicidants et les suicidantes empruntent à l’abris des regards l’accès pour mettre fin à leur vie.

Il suffit de franchir un tout petit portillon battant servant de balise interdisant soi-disant l’accès, descendre cinq à six marches en acier et vous attendez ce départ précipité, patientez peut-être quelques secondes encore le temps que la mort se présentera à votre rendez-vous.   

Ce rappel incessant au suicide accroché soigneusement au mur dans un tableau vitré, témoin d’un dernier regard ne ralentit pas les Kamikazes, il les incite à accélérer le pas, à fermer les yeux, à se serrer les muscles du corps accueillant la tête du métro en pleine face. 

À l’extérieur de la station, Mademoiselle Wàng Vi est accueillie par un après-midi doux, ensoleillé. Elle esquive un couple, une vieille connaissance de sa mère, la femme fouillait dans les poubelles publiques à la recherche de canettes, bouteilles, tout ce qui est collecte, recyclable qu’elle pouvait emporter dans son chariot. Les Chinois, en particulier du troisième âge, détiennent le record de ce genre de récolte. Ils le font à temps plein, presque tous les jours de la semaine pour tenter d’assurer une vieillesse qui risque d’être difficile pour eux au Québec. 

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Sur le trottoir de la rue Charlevoix, Mademoiselle Wàng Vi tâche de relancer une conversation avec sa mère :   

– Maman, la police m’a téléphoné pour le vol de ta collection de pièces de monnaies

Madame Chàng Lee tourne et lève la tête en direction de sa fille. Elle ne réagit que par un regard évasif, ambigu, plutôt hagard. 

Sa fille voyait dans cette attraction un signe d’encouragement, une ouverture, elle s’enfonce finement:

– La police pense qu’elle va finir par appréhender le voleur et te rendre ta collection.

La maman redresse sa tête et l’incline vers le bas. 

D’une voix cherchant à être rassurante, sa fille lui demande:

– Moi, je pense que tu vas finir par récupérer ta collection. Qu’est-ce que tu en penses maman?  

En continuant d’observer le pavé qui se défile sous les roues de son fauteuil roulant, la mère n’émet aucun avis, aucun mot, même pas le son d’une syllabe. Sa fille se tait et avance en poussant la chaise qui émet un grincement de pneus et un son de roulement défectueux. Sur le long trottoir bien droit, aucun arbre ne venait perturber ce dernier trajet qui les sépare de leur demeure. Elle savoure le bonheur que lui apporte l’été, elle se laisse animée par les rayons du soleil. Une sensation de chaleur l’enveloppe, ses yeux en voie de se fermer s’emplissent de larmes. Elle continue à avancer, Mademoiselle Wàng Vi au rythme du battement des roues mal en point. Et vite, elle se perd dans le tourbillon de ses souvenirs. Elle remonte dans le temps :

Le vol de la collection des pièces de monnaies 

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La lumière du soleil perce la fenêtre et les rideaux en dentelles de la chambre à coucher de Madame Chàng Lee. Celle-ci paraît en colère contre deux policiers du SPVM présents chez-elle. Ces agents refusent de prendre sa plainte. 

Les tiroirs de la commode sont grandement ouverts, des objets et des vêtements en vrac sont étalés sur le plancher. Madame Chàng Lee pointe du doigt le troisième tiroir pour indiquer aux policiers que sa caisse de collection de monnaies est disparue. Mademoiselle Wàng Vi, encore très jeune, traduisait les paroles de sa maman. L’enfant qu’elle était tremblait de peur, ses dents s’entrechoquaient. La mère de Mademoiselle Wàng Vi insiste pour que sa fille explique aux policiers qu’une personne est entrée chez elle pendant leur absence pour voler sa collection de monnaies. Madame Chàng Lee est incontestablement certaine du vol. Cette collection représente pour elle un trésor inestimable en valeur et en souvenirs.

En rentrant du travail ce jour-là elle avait découvert le vol. Rien ne démontrait qu’une introduction par effraction avait eu lieu, les deux policiers ont écarté la thèse du vol. Madame Chàng Lee supplie en vain les policiers d’aller visionner la caméra de surveillance de l’entrée de l’immeuble. Elle leur suggère de rencontrer les deux concierges. Elle se rappelle d’avoir glissé à l’un des deux un excès de mots sur sa collection. Les deux policiers insouciants à l’appel de Madame Chàng Lee, maintiennent le refus de prendre sa plainte et encore moins de filer le dossier à un enquêteur pour mener une enquête. 

Sa colère monte en flèche, Madame Chàng Lee. Elle somme les policiers de sortir de chez elle. Sa fille balbutiait des mots traduits du mandarin en un français impeccable. La petite ajoute que sa mère les accuse d’être racistes à son endroit et le traitement serait certainement différent avec quelqu’un d’autre. L’un des deux policiers enjoint la mère de se calmer, pendant que l’autre s’adresse à sa fille qui tremblotait sur sa chaise. Il lui demande de sommer sa mère de se taire, autrement, ils vont l’arrêter pour entrave à un policier. À cette époque, Mademoiselle Wàng Vi est encore une enfant, pourtant, cet évènement a marqué au fer rouge la mère et sa fille. 

L’un des deux policiers finit par demander à l’enfant si ce n’est pas elle qui aurait pris la caisse de la collection de monnaies?

La petite Wàng Vi fond en larmes en traduisant à sa maman qu’elle vient d’être accusée d’avoir volé la caisse de collection de monnaies de sa mère.

Arrestation abusive d’une personne irréprochable.

Sans tarder, la mère se retourne vers les deux policiers, irritée, contestatrice, voire écœurée, elle les interdit d’accuser sa fille de voleuse. La petite Wang Vi n’a pas eu le temps de traduire lorsque l’un des deux policiers se jette sur Madame Chàng Lee. Il lui plaque la face contre le mur et à l’aide de son avant-bras, il lui ajoute une forte pression sur les omoplates. Il lui bloque les deux pieds contre le mur. Une fois rendu à ce stade, il lui retourne violemment les bras dans le dos et il lui passe les menottes. 

Le policier qui la tient toujours contre le mur crie dans son oreille :

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– TABARNAK, là tu vas apprendre à te calmer maintenant!

Le corps de la mère de Mademoiselle Wàng Vi s’est brusquement relâché dans les mains du policier qui la tient inflexiblement. Embarrassé par le poids, il la laisse s’affaisser au sol. La bouche de Madame Chàng Lee s’est tenue grande ouverte jusqu’à l’arrivée des ambulanciers. 

Le Québec : une porte-piège, pensez-y deux fois avant d’entrer. 

Madame Chàng Lee ne parle pas d’autre langue que le mandarin, peut-être quelques mots en français et certains dialectes chinois du Sud-Ouest de Nanchang, une ville ouverte sur l’océan Pacifique et la mer de Chine. Aux mœurs chinoises, Madame Chàng Lee est restée fidèle. Elle n’a pas cédé un centimètre à cette courroie qui la tient à son pays natal.

Elle est restée attachée à sa culture d’origine, ses coutumes et ses croyances.

Pour certaines personnes comme elle, le Québec demeure certes une entrée perfide à ne pas emprunter à la légère. Longtemps, Mademoiselle Wàng Vi s’est demandé si sa mère n’avait pas raison de s’accrocher à ce lien qui, même si par l’usure du temps, semblait dérisoire.        

L’urgentologue qui a examiné Mademoiselle Wàng Vi après l’incident de la conversation téléphonique avec la policière du PDQ15 lui a conseillé de porter plainte contre la policière qui, par son traitement n’a fait qu’exacerber ses problèmes de santé. Il affirme que son état de choc est dû à l’altercation. Il affirme qu’il s’agit d’une agression et que la santé de celle-ci aurait pu avoir des conséquences plus graves. 

Mademoiselle Wàng Vi juge ainsi que l’agression dont elle a été victime est un acte de voie de fait grave sur une personne vulnérable. Sa vie était mise en danger. Le ton péremptoire et négligeant de la policière et la prolepse utilisée dépassaient largement les crachats et les coups. Mademoiselle Wàng Vi était littéralement asphyxiée par cette violence verbale, au point d’avoir pensé mourir. À la suite de cette brutalité, elle a dû être hospitalisée d’urgence. Ce moment pénible de sa déposition ratée, Mademoiselle Wàng Vi n’a pas pu l’oublier. Elle a la conviction ferme d’être abandonnée par les forces de l’ordre et lâchée rudement de très haut. 

Page 3 (à suivre)

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Visite au quartier général du SPVM

Mercredi, le 5 mai 2024. Après trois nuits d’insomnie, Mademoiselle Wàng Vi décide de se rendre au quartier général du SPVM, Service de la Police de la Ville de Montréal, situé sur la rue St-Urbain, en plein centre-ville de Montréal. Elle veut porter plainte contre la policière qui l’a agressé et qui a refusé de prendre sa plainte. 

À la réception de ce château fort du SPVM, des agents de sécurité lui demandent de patienter et l’avise que quelqu’un viendra la voir sous peu. Mademoiselle Wàng Vi observe le va-et-vient des policiers et des civiles portant des cartables, des chemises à crochets en carton, des enveloppes, des paquets… Tout ce monde traverse une zone détectrice de sécurité. Les portes en vitres coulissantes s’ouvrent et se referment après chaque vérification. 

Les lumières clignotent rouges, vertes. Mademoiselle Wàng Vi compare certaines séquences à celles de films qu’elle a déjà vus. Elle se croit plutôt dans une base militaire en état d’alerte. Alors, qu’elle remet un peu d’ordre dans ses souvenirs, un agent du SPVM la ramène à elle en se présentant :

– Je suis l’agent Stéphane Blais, agent du SPVM.

Il invite à le suivre jusqu’à la pièce proche du passage de la barrière du contrôle, puis il reprend :

– Vous souhaitez déposer une plainte? Mais ici, ce n’est pas un endroit pour les plaintes des citoyens. Vous devez le faire à votre poste de quartier. 

Mademoiselle Wàng Vi qui n’a pas encore prononcé un mot, accueille l’agent avec un sourire et lui répond :

– Bonjour Monsieur l’agent, je m’appelle Mademoiselle Wàng Vi et je suis venue déposer une plainte contre l’une de vos collègues du PDQ15. La policière a refusé de prendre ma plainte au criminel et elle m’a agressée au point où j’ai dû être hospitalisée suite à cette agression.

L’agent un peu déstabilisé, se sent mal à l’aise puis répond :

– Ah, oui, excuse-moi, Bonjour Madame. Vous dites qu’une policière vous a agressée. Est-ce c’est exact ?

– Oui, c’est exact, Monsieur l’agent.

L’agent demande à Mademoiselle Wàng Vi :

– Connaissez-vous cette policière ?  

Mademoiselle Wàng Vi répond :

– Non.

Il l’interroge sur l’endroit de l’agression.

Mademoiselle Wàng Vi précise :

– C’était chez moi, ma mère dormait et j’étais seule dans ma chambre.

Le policier continue à prendre des notes et lui demande en même temps :

– Pouvez-vous me dire de quelle manière cette policière vous a agressée ?

Mademoiselle Wàng Vi relate les événements par la découverte de la lettre de menace collée sur sa porte, puis elle passe à la conversation avec la policière du PDQ15 et termine son récit avec l’arrivée des ambulanciers.

L’agent dépose son stylo, dévisage Mademoiselle Wàng Vi, puis la surprend:

– Si j’ai bien compris, la policière en question ne s’est jamais déplacée chez vous ?

Mademoiselle Wàng Vi confirme et ajoute qu’elle n’a jamais vu la policière et qu’elle ne sait pas non plus à quoi elle ressemble.

Le policier ricane et avec un accent d’étonnement, il poursuit :

– Alors, comment vous voulez accuser de voie de fait une personne qui ne vous a pas approchée physiquement?

Mademoiselle Wàng Vi essaye d’abord de masquer son mécontentement puis, elle dit :

– Je vous dis Monsieur l’agent que j’ai été violemment agressée par la policière au point d’avoir manqué de mourir. Y a-t-il voie de fait plus grave que celui-ci ?

Cette fois, le policier prend un air austère et répond :

– On ne peut pas, Madame, accuser quelqu’un de voie de fait s’il n’y pas eu de contact physique entre la victime et l’accusé.

Mademoiselle Wàng Vi confronte l’agent d’un regard droit et d’une voix consternée réplique :

– Donc, vous refusez, vous aussi de prendre ma plainte ?

– Ce n’est pas à moi de décider, disait le policier. Ceci revient au procureur de la couronne de porter ou non des accusations. Selon le code criminel, votre cas ne semble pas présenter une preuve suffisante pour accuser la policière de voie de fait.

Mademoiselle Wàng Vi prend sa tête dans ses deux mains et demande poliment à l’agent :

– Maintenant, est-ce que la policière qui m’a agressée avait le droit de refuser de prendre ma plainte pour harcèlement?

– Il faut comprendre, Madame, que chaque plainte déposée ne donne pas lieu automatiquement à l’ouverture d’une enquête.  Encore, un policier a un pouvoir discrétionnaire, il peut refuser de prendre une plainte et ne pas l’enregistrer. Dans votre cas, je ne sais pas pourquoi la policière a jugé votre plainte non recevable? Mais pour ça, je vais vous aidez, attendez-moi ici deux minutes, je reviens…

Aussitôt après avoir prononcé ces derniers mots, l’agent disparaît un instant pour revenir en tenant un formulaire qu’il tend à Mademoiselle Wàng Vi.

– Tenez, voici un formulaire de la déontologie policière à remplir. Eux, ils vont analyser votre plainte en profondeur et peut-être même ils déclencheront une enquête. Ils chercheront à savoir si la policière n’a pas fait son travail comme il faut. Vous allez voir, que c’est sérieux. Ils peuvent même citer la policière devant un tribunal. 

Mademoiselle Wàng Vi ne le contredit pas. Elle demeurait silencieuse, évasive, réticente. En exhalant le souffle de ses affres, les muscles de son corps se décontractent. L’agent du SPVM lui demande si elle se sent bien? 

Par un mouvement de tête, elle fait signe de oui.

L’agent lui demande si elle a des questions?

Toujours avec un rythme de mouvement de la tête un peu lent, elle affiche un non évasif, mais formel puis elle se lève de sa chaise. Ses yeux ne cillaient plus dans un dernier regard porté au policier. Elle tourne le dos et quitte la pièce sans s’incliner ou saluer l’agent. Mademoiselle Wàng VI a pris soin avant de quitter les lieux de remettre au policier le formulaire qui lui avait confié. L’agent l’observe avec étonnement. Elle descend les quelques marches qui l’amènent à la sortie de l’immeuble. Il sourit, l’agent du SPVM, en mordant discrètement la jointure de son pouce. 

Avant de passer sa carte magnétique au passage de sécurité qui lui ouvre les portes pour l’entraîner dans le mouvement du va-et-vient, l’air intrigué, le policier cherche à jeter un coup d’œil discret sur Madame Wàng Vi. Elle avait déjà disparue de son champ de vision.

Page 4 (à suivre)

Cul-de-Sac.

De la station de métro Saint-Laurent, Mademoiselle Wàng Vi n’a pas remarqué le temps passé. La ligne du métro est directe jusqu’à la station Charlevoix. Elle pressait le pas pour rentrer chez elle et en essayant de vider sa mémoire, elle se parle à mi-voix: 

– Écoutez mademoiselle Wàng, gardez la tête froide. Restez tranquille. Respirez profondément. Faites évacuer les idées noires de votre tête. Tout va s’arranger, ne vous inquiétez pas …  

Elle se parle à elle-même, Mademoiselle Wàng Vi. Elle récite par cœur ce que les psychiatres lui ont répété presque chaque fois qu’elle était en psychose.

Elle glisse dans la foule comme une roue de bicyclette cherchant à se rendre le plus rapidement possible chez-elle, fermer la porte et s’endormir à fond. Elle espérait que l’entretien qu’elle a eu au quartier général du SPVM soit gommé de sa mémoire comme s’il n’avait jamais existé. Trop de choses en même temps s’ajoutent dans sa vie, se jointent, s’introduisent de force. Elle se sent submerger, dévaster au point à de ne plus avoir la capaciter de supporter.

Arrivée à la station de métro Charlevoix, elle se dirige vers un point précis comme si elle était téléguidée, elle tire son sac à main, elle l’ouvre et extrait un pain au chocolat bien emballé. Elle le dépose à côté d’un itinérant qui dormait comme une bûche sur le sol puis elle continue son chemin.     

Les passagers se bousculaient à la sortie de la station du métro. Elle file à droite et arpente la rue Charlevoix en esprit absent jusqu’à la rue Mullins. Elle était à quelques pas de son adresse quand le bruit des roulements du train la fait sursauter. Elle se ranime Mademoiselle Wàng Vi. Le CN, ce train de marchandise qui parcours l’Amérique du Nord roulait au-dessus de sa tête sur un vieux viaduc de quelques mètres en plein quartier.

– C’est fou comment il grince ses dents sur les rails ce foutu de train. 

Puis, elle grogne Mademoiselle Wàng Vi sans lever les yeux pour marquer le transit du train. 

Combien, elle déteste les soufflements de ce train qui passe à tout le moins dix fois par jours? Elle n’a pas d’heures fixes à dormir, ses passages la réveillent en plein sommeil.

Quelques mètres après, elle atteint le coin de la rue Ryde. Essoufflée, elle marque une pause. Ses yeux atterrissent et se promènent sur un immense embouteillage qui bloque le pont Samuel-De Champlain et l’autoroute 15. Cet axe de pollution est branché à son balcon, à ses fenêtres, à son nez en pérennité. Les ronflements des moteurs se font entendre de si près. Les klaxons de la frustration dû à la congestion lui font apparaître un sourire. Elle engage quelques pas encore et elle se rend devant son immeuble. Un voisin du même étage lui tient la porte d’entrée ouverte. Mademoiselle Wàng Vi le remercie chaleureusement. 

Celui-ci lui demande des nouvelles de sa mère, Mademoiselle Wàng Vi lui apprend qu’elle va bien. Le voisin lui propose si elle voulait une cigarette? Elle dit non. En tenant toujours la porte mi-ouverte, il lui ajoute:

– Avez-vous entendu les dernières nouvelles? 

Mademoiselle Wàng Vi voulait savoir de quelles nouvelles s’agit-il? Mais, elle a préféré répondre: 

– Non, je n’écoute pas les informations. 

Le voisin d’une voix aiguë avec un visage surpris l’informe :

– Donald Trump s’en prend au Québécois, enfin au Canada. Il explore les moyens qui l’aidera à nous rattacher aux moindres coûts aux États-Unis d’Amérique.

Mademoiselle Wàng Vi lui demande :

– Est-ce qu’ils vont le laisser faire?

Le voisin reprend avec peu d’enthousiasme.

– François Legault nous a dit que c’est le temps de se serrer les coudes parce que ça va brasser dans les prochains mois, même dans les prochaines années.

Mademoiselle Wàng Vi comme épeurée répond :

– Est-ce qu’il y’aura une guerre?

– Je ne pense pas répond le voisin. Donald Trump a déjà traité Justin Trudeau d’homme malhonnête et faible. Vous voyez, le Canada n’est pas le pays à mener une guerre. Trump pense à incorporer le Canada avec le reste des États-Unis par la diplomatie. Il n’a pas besoin de nous envahir. Une guerre économique pourrait renforcer les mouvements annexionnistes et les exclus au Québec à appui cet avis. 

Mademoiselle Wàng Vi ne suit pas trop les explications de son voisin, elle lui demande ce que veut dire François Legault par c’est le temps de serrer les coudes ?

Le voisin cherchant ses mots, il finit par lui dire :

– Enfin, la vie va nous coûter beaucoup trop cher. 

Mademoiselle Wàng Vi en guise de fermer la conversation :

– Donc, il y’aura beaucoup plus de suicides ? 

Le voisin affiche une mine navrée et approuve:

– J’avais pensé à ça, mais je n’ose pas le dire, imagine-toi, au Québec il y a au moins trois personne qui se suicident chaque jour…

Mademoiselle Wàng Vi demande à son voisin s’il croit que notre Premier ministre François Legault peut nous aider?

– Ce type n’a aucun poids devant ce bulldozer, lui dit le voisin. Donald Trump ne tient pas compte de quelqu’un comme François Legault. Ce dernier est peut-être bon en économie, mais nul en diplomatie. 

– Comment ? N’est-il pas le Premier Ministre du Québec ?

– Oui, parce qu’il n’y en avait pas d’autre. 

Mademoiselle Wàng Vi ne se sent plus capable de continuer à tenir la conversation, elle s’excuse en y mettant fin. Elle salut poliment son voisin et monte les marches de ses escaliers et avant de tourner la clef dans la serrure de sa porte, elle essuie deux larmes qui venaient de tomber sur ses joues. Elle range ses cheveux et se force de garder un sourire. 

Note 1:

La dernière fois que nous avons rencontré Madame Wang Vi, c’était dans nos bureaux sur la rue Fullum à Montréal. Elle nous a remis une feuille où elle avait écrit :

« Les Chinois sont un peuple résilient. Ils encaissent les coups sans jamais se plaindre. C’est une culture implantée par un régime socialiste de dictature démocratique populaire. Ma mère appartient à ce peuple. 

Moi, je ne suis pas Chinoise, 

je ne l’ai jamais été et je crois encore moins pouvoir l’être un jour. 

Québécoise de seconde classe, étrangère à moi-même sans identité patente. Depuis ma puberté, je tourne dans une bulle à la recherche d’une issue d’apaisement.

Note 2 : 

Les noms des personnes impliquées dans ces évènements ont été remplacés par des noms fictifs.