Une commissaire visionnaire évincée de son poste

Me Mélanie Hillinger, ex Commissaire à la déontologie policière lors de l’une ses rencontres avec l’auteur de ces lignes.  Photo de MAJ.

Montréal, 05 mai 2025

Par Hadj Zitouni, 

Directeur général 

Mouvement Action Justice, organisme en défense des droits. 

Quand un haut fonctionnaire devient encombrant, on le mute à d’autres fonctions qui deviennent des paravents d’éloignement en douceur. En date du 19 mars 2025, le Conseil des ministres du gouvernement de François Legault a procédé à la mutation en mi-mandat de Me Mélanie Hillinger, Commissaire à la déontologie policière. Un mandat prévu pour une période de cinq ans et plus. Le hic, est que depuis 1990, date de la création du système de déontologie policière au Québec, aucun Commissaire n’a été muté ou évincé de son poste avant la fin de son mandat. Parmi les Commissaires, il l’y en a même eu certains qui ont fait deux mandats et même davantage. 

Entrée en fonction le 27 avril 2022, Me Mélanie Hillinger devient la première femme à occuper ce poste et étrangement, elle est aussi la seule à être démis de ses fonctions avant la fin de ce contrat. Dissimuler ce départ par une promotion séduisante ne change rien au fait qu’on se débarrasse de cette Grande Dame.  Tout le travail qu’elle a accomplie depuis sa nomination se reflète dans le malaise qu’on pouvait ressentir chez elle lors de nos rencontres. Un malaise face à l’impunité policière. Me Mélanie Hillinger croyait à une possible réforme profonde de ce système de la déontologie policière qui ne fait qu’accentuer le mal des citoyens-plaignants contre l’abus policier. 

C’est avec une volonté insoupçonnée à relever le défi qu’aucun autre Commissaire n’a réussi à soulever avant elle, que Me Mélanie Hillinger a brassé la cage du ministre de la sécurité publique en poste pour augmenter le budget de son organisme. Elle est la seule qui a renforcé le nombre d’enquêteuses et d’enquêteurs et à avoir déclenché un nombre record d’enquêtes, notamment quand les plaignants alléguaient des conduites discriminatoires susceptible de constituer un acte dérogatoire des policiers. Ces plaignants ne sont plus obligés de s’humilier dans le processus d’une conciliation forcée, autour d’une table-laboratoire de formation continue sur mesure pour compléter la formation des policiers fautifs. 

Nous avons assisté et nous avons constaté des changements draconiens depuis l’arrivée de cette Grande Dame à la déontologie policière. Le respect envers les citoyens-plaignants et les militants des droits est maintenant de mise.

Quelques exemples concrets:

  • Nous sommes le 25 février 2025. Nous accompagnons un plaignant convoqué à participer à une enquête déclenchée par la Commissaire à la déontologie policière. Avant de franchir le bureau de M. Marc Pigeon, enquêteur attaché à cet organisme, le plaignant se plaint d’un malaise terrible. Il se remémore un article à charge de M. Marc Pigeon, alors que celui-ci était journaliste au Journal de Montréal. L’article en question prenait la part des policiers et dénigrait un citoyen se plaignant d’actes dérogatoires de policiers. Nous soulevons l’interrogation à M. Marc Pigeon et celui-ci admet rapidement la possibilité du cas. Pour cette raison, nous demandons son retrait de l’enquête et nous insistons pour rencontrer son directeur M. Steve Desroches. 

Après une bonne quinzaine de minutes, M. Marc Pigeon revient nous voir accompagné de M. Pascal Gosselin qui se présente enquêteur désigné de facto par le directeur des enquêtes, M. Steve Desroches. 

Jusque-là, nous endossons le coup, mais quand cet enquêteur nous déclare qu’il est prêt à procéder, ça nous déstabilise. Notre nouvel enquêteur n’avait pas jugé nécessaire de s’instruire du dossier avant de débuter l’enquête. Face à cette situation, nous avons demandé de mettre fin à la rencontre. Notez que Pascal Gosselin est un ancien policier qui a travaillé au Service de Police de la Ville de Montréal, durant 27 ans avant de se convertir en enquêteur à la déontologie policière. 

De retour aux bureaux de Mouvement Action Justice, nous envoyons une plainte à la Commissaire : nous déplorons les enquêteurs désignés et nous reprochons le refus de M. Steve Desroches, directeur des enquêtes, de ne pas venir à notre rencontre. 

Sans tarder, le lendemain matin, 26 février 2025 à 11h06, nous recevons une réponse de Me Mélanie Hillinger. Ici nous vous citerons que quelques mots de cette correspondance révélatrice d’une personne qui prenait à cœur son travail, le respect envers les plaignants et sa tentative émouvante de vouloir redonner confiance aux citoyens :

« En suivi de votre correspondance, j’ai convié tôt ce matin, mon directeur des enquêtes M. Steve Desroches et les deux enquêteurs qui ont été impliqués dans la plainte…….  Un nouvel enquêteur sera assigné sous peu pour répondre à votre demande…il en va du succès de cette enquête et de la préservation de son intégrité si jamais le dossier devrait se rendre devant le tribunal administratif de déontologie policière. » Fin de citation

  • Le 25 septembre 2023, Mouvement Action Justice se déplace bénévolement de Montréal jusqu’à Sainte-Agathe-des-Monts dans la région des Laurentides, pour assister une plaignante autochtone des Premières Nations dans une rencontre de conciliation en déontologie policière. La conciliatrice, Madame Nancy Malo se montre dégradante et irrespectueuse envers nous. Devant une telle attitude, nous avons demandé de suspendre la séance de conciliation pour lui rappeler son manquement aux valeurs déontologique. Malgré tout, elle n’avait pas l’air de saisir sa saute d’humeur. 

Encore là, nous nous sommes référés à la Commissaire. Elle n’a pas tardé à nous répondre, Me Mélanie Hillinger :    

« Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier d’avoir porté́ cet évènement à ma connaissance. De plus, il m’apparait important de vous souligner que le Commissaire à la déontologie policière s’avère une organisation investie d’une grande mission. Pour la réaliser, il doit pouvoir compter sur la confiance de ses parties prenantes au processus déontologique….. ».

Nous vous partageons un dernier exemple de nos échanges et de nos rencontres avec Me Mélanie Hillinger, Commissaire à la déontologie policière évincée tristement de son poste en mandat. Elle nous écrit au mois d’octobre 2024: 

« En préparation de la mise en œuvre des changements législatifs suivant l’adoption du Projet de loi 14 et du nouveau mandat de prévention, la Commissaire à la déontologie policière, Me Hillinger aimerait vous convier à une rencontre en présentiel à notre bureau de Montréal afin de discuter avec vous de ces changements ». Fin de citation.

Bien entendu, nous avons répondu, favorablement à l’invitation de Me Mélanie Hillinger malgré que des militants de notre mouvement et d’autres s’y sont objectés. 

Rendus à ses bureaux, l’accueil nous a été sans surprise. Franchement, cette Grande Dame est digne d’une diplomate aguerrie, respectueuse avec une simplicité qui fait lacune à un grand nombre de nos hauts fonctionnaires. Souriante tout le long de la rencontre en nous laissant nous exprimer librement, sans jamais nous interrompre. Il suffit de la regarder dans les yeux pour comprendre son souci de nos préoccupations partagées.  Elle comprenait notre combat contre le processus perçu comme injuste et inhumain de la déontologie policière. 

Lors de cette rencontre, le Commissaire nouvellement assigné M. Michel Desgroseillers, accompagnait Me Mélanie Hellinger.  Celui-ci, à l’emploi de la déontologie policière depuis une dizaine d’années, nous a été présenté par Madame la Commissaire dès son arrivée à la rencontre, sinon, M. Michel Desgroseillers n’a pas prononcé un seul mot jusqu’à la toute fin de la discussion. Assidu au rôle qu’elle lui avait confié Me Mélanie Hillinger, celui de prendre des notes, il levait la tête rarement un regard ambigu et curieux comme celui qui cherche à ne rien rater de la conversation. Il revêtait le statut d’un fonctionnaire de la fonction publique, ni plus ni moins. Sans appel aucun, à coté de Me Mélanie Hillinger, ce type n’affichait malheureusement nullement l’étoffe d’un Commissaire à la déontologie policière. 

On pourrait croire que ce poste lui a été accordé parce qu’il est dans l’organisme depuis une décennie sans même apporter ou influencer un vent de changement. Nommé à cette fonction demande plus qu’un curriculum vitae ou une candidature d’opportunité. D’ailleurs, le poste n’a pas été réellement affiché pour de potentiels candidats, ce qui auraient pu masquer ce renvoie inattendu, imprévisible et maladroitement préparé pour la sortie de Me Mélanie Hillinger.      

Selon nous, Me Mélanie Hillinger était une règle de droit conforme et exemplaire aussi souvent qu’elle pouvait l’être. 

Soigner les relations avec les citoyens-plaignants et les militants en défense des droits démontre la volonté de cette Grande Dame à vouloir recoudre péniblement des attaches de confiance, hélas laissées secs depuis 35 ans.  

Maintenant, il reste à connaitre pourquoi on a relevé Me Mélanie Hillinger de ses fonctions alors que nous étions témoins de sa pleine ascension dans sa mission.  À notre humble avis, elle demeure temporairement irremplaçable pour ce poste en attendant une profonde réforme de la déontologie policière.