Quand le profilage ethnique cogne à votre porte

Montréal, 14 mai 2025

Par Hadj Zitouni, directeur général 

Mouvement Action Justice

Organisme en défense des droits

« Il arrive un moment où la seule façon pour un Homme de garder sa dignité, c’est de casser la gueule à un flic. C’est notre dignité qu’ils veulent nous enlever ».

        John Steinbeck. Prix Nobel de littérature 1962. 

        Les raisins de la colère. P. 763.

Le 12 novembre 2024, un jeune Longueuillois jeta un sac poubelle dans le bac à ordures situé au fond de la cour arrière de la maison. En s’apprêtant à rentrer chez lui, il remarque la présence d’un policier qui ouvre et qui franchit la porte de la cour. Le policier le pointe du doigt. Empressé par le froid et intrigué par l’intrusion, le jeune court vite vers l’intérieur de la maison et se refuge dans sa chambre où il lève les stores et pousse le châssis de la fenêtre. Maintenant, les policiers sont rendus deux, celui qui l’a apostrophé par un regard intense se trouve à deux pas de l’entrée de la résidence, le second policier barre par sa corpulence la sortie de la cour. Un échange houleux s’amorce entre le jeune et le premier policier. Ce dernier lui ordonne de se rendre à l’extérieur. Le ton du policier monte d’un cran et les interrogations du jeune s’amplifient en amont.

À ce moment-là, le père du jeune, M. Kourdassi, un retraité sommeillant sur son canapé, se réveille brusquement, il chausse en mouvement précipité ses pantoufles à l’envers et se rend à l’extérieure pour voir ce qui se passe dans sa cour. Il tombe face à un policier irrité, qui regarde en direction de la fenêtre où la tête du jeune homme s’élevait. Le père affiche d’emblée un sourire forcé et introduit en même temps quelques mots de bienveillance. Le pauvre père tente de désescalader la tension. Toutefois, le policier ne lui prête guerre attention et il crie encore sur le jeune en continuant de lui ordonner de sortir de chez lui, sinon lui dit-il : « je monte t’arrêter ».

En cherchant à relever son autorité de chef de famille, le père hisse sa voix qui se perd dans le bruit confus des échanges. Il attend, espérant obtenir des explications à l’introduction surprenante et usurpatoire des policiers sur son terrain. Étant donné qu’aucune réaction ne lui parvient, le père commande fermement à son fils de se taire. Ce dernier baisse la voix sans s’abstenir entièrement, puis soudain, son visage s’éclipse de l’ouverture de la fenêtre suivi de l’extinction de sa voix.

En le perdant de vue, le policier affiche un niveau de stress plus élevé, mais une fois que le jeune réapparait à l’entrée, collé à son père, le visage du policier se décontracte relativement, hormis ses yeux furieux qui continuaient à exalter une hostilité sans borne, qui dévoraient le jeune sans le relâcher d’un clin d’œil. 

Maintenant, l’attention de M. Kourdassi vire en coup de vent sur le numéro de badge du policier, qu’il l’enregistre dans sa mémoire sans grand effort.   

Tout au long de l’entremise à vouloir engager un dialogue avec le policier, M. Kourdassi n’a eu droit à aucune réponse, aucun ménagement. L’attention du policier matricule 12156 du service de la police de l’agglomération de Longueuil demeure plutôt localisée exclusivement sur le fils. Puis sans préavis aucun, le policier avance d’un pas de loup et tente de coller la main au jeune. Ce dernier esquive la main tendue vers lui et s’est poussé derrière son père.

Rendu à bout de nerfs, le père enjoint le policier de quitter sa propriété et d’aller chercher un mandat de perquisition. Mais avant même d’achever ses mots, le matricule 12156 bond d’une force inouïe sur le père, il l’étrangle à l’aide de son avant-bras contre la porte béante.  La manœuvre du père à vouloir se défaire de la prise du policier n’a pas fonctionné sous le regard fugitif, froid et acéré qui s’est fait entre les deux hommes. Après quoi, le père entend des injures, reçoit des coups, ensuite un écran noir l’envahit.  

Sous le poids du corps qui s’affaissait au fur et à mesure de l’étouffement, le policier finit par lâcher prise. Le père s’effondre comme un bloc de ciment. On le menotte en toute hâte. Aussitôt, le matricule 12156 actionne son radiotéléphone et demande des renforts. Dans sa chute vers le bas, M. Kourdassi tente d’absorber de plus grandes quantités d’air. Il sent son cœur lâché. Le second policier vient prêter main forte à son collègue et fonce violemment sur le jeune homme. Il le fait tomber dans les marches de l’escalier menant au sous-sol. Le policier l’arrête sans que le jeune y fasse la moindre résistance. 

Dans une débandade totale, la mère du foyer, en état de choc, alerte les policiers que son mari est sujet à des problèmes de santé envenimés et qu’il risque à tout moment de perdre la vie. Cet appel reste lettre morte.  

Des renforts du service des policiers de l’agglomération de Longueuil arrivent sur les lieux. Le père demi conscient fut trainé jusqu’à la voiture patrouille. On le jette sur la banquette arrière, les deux policiers prennent place à l’avant. Au moment que le matricule 12156 entame à compléter une contravention, la voix du père leur parvient en cascade, gémissante. Il les supplie d’aller chercher sa Ventoline. Il soupire et ajoute qu’il n’arrive plus à respirer. 

« Crève-toi espèce de baveux » lui lance le matricule 12156. La voix secouée du père qui se perd lentement attire l’attention du matricule 11971. Celui-ci se tourne et prend connaissance de l’état physique alarmante du père : les yeux vitreux, clignotent lourdement en signe de détresse. Là! Le visage du père est presque éteint et une salive écumeuse se forme sur le bout de ses lèvres. Le matricule 11971 s’empresse à lui enlever les menottes, le remet sur le dos et laisse la portière du véhicule ouverte. Il appelle une ambulance et retourne rapidement au domicile pour récupérer la Ventoline et d’autres médicaments. 

L’ambulance arrive et quitte rapidement les lieux vers l’hôpital Pierre-Boucher de Longueuil sans escorte policière. Les agents du SPAL venus en renfort indûment, évacuèrent la place sans tarder avec des sourires qualificatifs, voire gênants. Le matricule 12156 laisse une contravention (No: 23 412 535). Il souligne l’infraction : « propriétaire d’un véhicule dont un feu de freinage arrière n’est pas constamment en bon état de fonction ». Il précise que la voiture est de couleur grise. 

Quelques semaines plus tard, le père écrivait dans sa plainte à la déontologie policière que sa voiture n’est pas de couleur grise et s’est demandé pourquoi les policiers n’ont pas arrêté son fils sur la route si celui-ci avait commis une infraction au code de la sécurité routière?  

La Commissaire à la déontologie policière déclenche une enquête. 

La plainte au nom du père-plaignant sous le numéro PLA 24-4170 s’inscrit à la déontologie policière. L’odeur du profilage ethnique est écœurante, elle prend le dessus du dossier. La Commissaire à la déontologie policière, Me Mélanie Hillinger rapplique la nouvelle directive de la loi 14, loi modifiant diverses dispositions relatives à la sécurité publique, M. Kourdassi est irrévocablement épargné du processus de la conciliation obligatoire. À ce stade, il n’est ni obligé à s’assoir avec le matricule 12156, ni à l’entendre et encore moins à être soustrait à signer un engagement de confidentialité préalable quasi obligatoire conformément à l’article 164 de loi sur la police : se taire et s’abstenir à révéler quoi que ce soit de ton calvaire. 

Mercredi, le 02 avril 2025, devant, Mme Isa Savoie-Gargiso, enquêteuse à la déontologie policière, le père revient avec beaucoup d’émotions sur l’évènement du 12 novembre 2024. Après avoir décrit comment il a été trainé et jeté dans le véhicule de la patrouille comme un sac d’ordures sous les yeux de sa famille et de ses voisins, il s’est attardé sur le croisement de regards qu’il a eu avec le matricule 12156 lors de son étranglement. Il souligne non pas qu’il était à deux doigts à perdre la vie, mais plutôt, il décrivit sa stupéfaction face à la haine bouillonnante qui inondait les yeux du matricule 12156. C’était le regard d’un tueur à sang froid disait-il à l’enquêtrice. Je me souviendrai toute ma vie de ce regard de rejet, de haine et de mépris. 

Le père affirme que s’il est encore en vie, c’était grâce au poids de son corps qui s’est écroulé lourdement, échappé vers le sol des mains du policier forçant la prise à se défaire autour de son cou. Autrement, le policier aurait continué sa pression mortelle comme d’autres policiers le font dans leurs interventions sous prétextes d’attendre l’arrivée des renforts.    

Le 15 avril 2025, l’enquêteuse assignée à ce dossier informe le père qu’elle va cesser de s’occuper de son dossier parce que deux de ses témoins refusent de participer à l’enquête. Ces témoins craignent d’être victimes de représailles. L’enquêteuse retourne le dossier au bureau du Commissaire. 

Dans ce processus d’enquête déontologique, une loi accorde aux policiers le choix de participer à l’enquête ou à décliner. L’enquête peut durer six mois. Connaître le résultat de cette enquête peut aller jusqu’à un an si ce n’est pas plus. Pendant tout ce temps les plaignants-victimes continueront à attendre, vainement. 

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