L’extension d’un crime d’État au Québec

M. Hervé Bertrand, président des orphelins institutionnalisés de Duplessis et l’auteur de ces lignes au Cimetière de Laval. Le 27 août 2025, dans un même temps, même heure, M. Hervé Bertrand a enterré sept de ses confrères et consœurs, tous enfants orphelins de Duplessis. Aucun représentant du gouvernement du Québec n’était présent.

Par Hadj Zitouni, le 12 septembre 2025.

Mouvement Action Justice

« Aujourd’hui, la voix des enfants de Duplessis s’éteint peu à peu. Il est urgent de préserver leur mémoire, de ne pas oublier la violence institutionnelle qu’ils ont subie et l’injustice qui a perduré… Ce regroupement de survivants, présidé par Hervé Bertrand visait à briser le silence sur un pan tragique et douloureux de notre histoire »

Déclaration de Mme. Ruba Ghazal, députée de Mercier

à l’Assemblée nationale du Québec, 03 juin 2025.

Les quelques survivants qu’ils restent des orphelines et orphelins institutionnalisés de Duplessis sont rendus à un âge avancé, vulnérables, voire proches du terminal. Le gouvernement de M. François Legault et ceux qui l’ont précédé, embarrassés par l’insistance de leurs revendications, ont fini par confier leur sort à l’usure du temps. Ce dernier a le pouvoir suprême d’éteindre leurs voix, l’une après l’autre et les faire disparaître une bonne fois pour toute de l’histoire du Québec. L’élaboration de ce stratagème découle de lui-même, comme en science-fiction, sans jamais désigner un vrai coupable, sinon les erreurs d’un épisode terriblement mal tourné de l’histoire. 

Rencontre avec les attachés politique de la députée Mme Ruba Ghazal

Le 23 avril 2025, je servais comme béquille de déplacement à M. Hervé Bertrand, président du Comité des orphelines et orphelins institutionnalisés de Duplessis. Son corps ne tenait pas droit, ses jambes avaient de la difficulté à le porter et son regard s’accrochait plutôt au sol pour éviter de trébucher.  Il avait un rendez-vous avec Mme Ruba Ghazal, députée de Mercier. Elle n’était pas à son bureau sur le plateau Mont-Royal madame la députée. Un rendez-vous raté dû, peut-être, à la mémoire imprévisible de M. Hervé Bertrand, qui lui jouait parfois des mauvais tours. 

M. Hervé Bertrand tenait résolument à ne pas manquer ce rendez-vous. Cette assignation lui semblait l’ultime voix qui lui restait. Par l’entremise de madame la députée, il espérait évacuer des mots qui se bousculent en lui, qui s’enflamment en souvenirs tristes et douloureux d’une existence meurtrie. Il veut montrer au monde la suite d’un témoignage d’histoire percutant, chargé de désolation, de souffrance de la vie de milliers d’enfants québécois dont la plus grande majorité nous a quitté. Transmettre de son vivant son ultime cri de détresse aux membres de l’Assemblée nationale du Québec. 

À notre arrivée aux bureaux de la députée, Mme Ruba Ghazal brillait par son absence. Mais nous avons été chaleureusement accueillis par ses attachés politiques et son équipe de soutien administratif. Tolérant l’absence de la députée, M. Hervé Bertrand s’est confié en douceur à cette équipe hautement dévouée à la ligne du parti. Le cercle est resté captif à l’écoute tout le long de la rencontre.

M. Hervé Bertrand au centre et l’auteur de ces lignes à sa droite avec l’équipe d’attachés politiques de M. Ruba Ghazal, députée de Mercier, le 23 avril 2025 dans le bureau de la députée sur le Plateau-Mont-Royal.

M. Hervé Bertrand interrompait sa narration entre chaque chapitre de son histoire en jouant de l’harmonica proustienne. À ce moment précis, il se souvient de tout comme si sa vie d’orphelins institutionnalisée de Duplessis défilait devant ses yeux. À certains passages du récit, la gorge de M. Hervé Bertrand se nouait et ses yeux se remplissaient de larmes. Il reprenait illico son harmonica et rejouait de courtes compositions larmoyantes avec ce petit instrument qui ne le quitte jamais. L’émotion fut palpable, voire contagieuse dans l’audience. Le camp de la députée inclinait la tête, les yeux mi-clos comme pour une prière de recueillement historique. 

Lègue historique en absence de l’État

M. Hervé Bertrand vient tout juste de léguer aux archives de l’Université Concordia des éléments de preuves, des traces de crime d’État qu’il a subi avec tant d’autres enfants : objets, manuscrits, enregistrements audios qui racontent des faits de sa vie perturbée, violée, détruite par le gouvernement de Maurice de Duplessis et l’évolution de ce crime dans le temps. Il a tout emballé, « paqueté » comme il le disait si bien M. Hervé Bertrand l’histoire de son enfance, sa jeunesse, sa vie d’adulte et son vieillissement dans des cartons, des boîtes à l’image d’une personne qui se prépare pour déménager d’un lieu à l’autre.  

La passation légale de cet héritage se finalisera ce samedi 13 septembre 2025 à Saint-Anne-des-Plaintes, chez lui en présence de sa famille et de ses proches. M. Hervé Bertrand se sent de plus en plus persécuté par la vieillesse et l’épuisement. Ces souvenirs qui l’ont tellement préoccupé, angoissé, voire obsédé, semblent insensiblement s’altérer. La fatigue, les oublis et les distractions témoignent de ce constat.   

Des excuses et des hommages sont insuffisants pour écrire l’histoire

Le 03 juin 2025, le témoignage relayé à la députée par son équipe avait raisonné en elle comme un véritable électrochoc. Devant un Premier ministre lourdement sourd ou absent à entendre les survivants des orphelins de Duplessis, Mme Ruba Ghazal s’est levée avec courage pour rappeler littéralement, tout droit aux membres de l’Assemblée nationale et au peuple québécois, que ces victimes de la période noire du Québec ne sont pas toutes enterrées, qu’il en reste quelques-unes et quelques-uns qui refusent de mourir avant de s’assurer que leur histoire ne tombe pas dans l’oubli. Madame la députée a clos son intervention en rendant hommage à ces miraculés. 

Déclaration de Madame Ruba Ghazal, députée de Mercier à l’Assemblée nationale, le 3 juin 2025, en hommage aux orphelins institutionnalisés de Duplessis.

Les gouvernements successifs au Québec ont tous sans exception aucune tenté d’étouffer l’histoire dramatique de ces survivants. Ce désir d’effacer de l’histoire du Québec ce terrible décret Duplessiste perdure depuis le gouvernement de Paul Sauvé qui a succédé à Maurice Duplessis jusqu’à l’actuel de M. François Legault qui a refusé d’entendre les doléances de M. Hervé Bertrand. M. Bertrand se rappelle, preuve à l’appui, d’être allé rencontrer le Premier ministre à son bureau le 16 décembre 2019 à l’Assomption. M. Hervé Bertrand était accompagné de la députée de sa circonscription, Mme Lucie Lecours. Notre Premier ministre a doublement bouché ses oreilles. Il ne voulait rien savoir ni de la tragédie des orphelins de Duplessis et encore moins de leur histoire. 

Cet air insistant de nos politiciens à détourner habilement le dos et d’ignorer des pans marquants de l’histoire du Québec demeure incompréhensible. C’est Incroyable de remarquer la manière dont les chefs politiques, d’une époque à l’autre, s’alignent obstinément tous sur une même corde raide de défense pour clore ce paragraphe d’histoire qui refuse de se fermer.   

M. Lucien Bouchard, Le Premier ministre du Québec dans les années 1990, a bien renforcé cette ligne de défense en déclarant : « Si cette époque a connu son lot de misères et d’erreurs, elle se caractérise aussi par de nombreux exemples de grands dévouements ».  

Voilà comment exonérer la culpabilité mutuelle de cécité et de surdité volontaire des différents gouvernements. Leur inaction montre bien leur désir de fermer un chapitre parmi les plus sombre de l’histoire du Québec. Depuis la moitié du siècle dernier, nous sommes témoins de la dissimilation d’un crime d’État odieux qui se poursuit jusqu’à nos jours. 

Il faut rappeler qu’il s’agit de milliers d’enfant qui ont été arrachés à leurs mères, internés illégalement, faussement diagnostiqués et déclarés malades mentaux par le gouvernement de l’époque. Ces enfants ont été maltraités, violés, humiliés, exploités sur des fermes agricoles, ils ont subi de violents électrochocs expérimentaux et privés de toutes sortes d’instruction.  On les appelait les enfants du péché parce qu’ils étaient nés d’une relation hors mariage, ou venaient de familles trop pauvres pour subvenir à leurs besoins de base. Ces survivants se sont nommés eux-mêmes Orphelins de Duplessis, en référence au sort que Maurice de Duplessis leur avait infligé. Des prises de décisions gouvernementales qui ont assombri l’époque de Maurice de Duplessis dans les années 1930 à 1960 et entaché l’histoire du Québec.

Les victimes ont payé de leur vie leur crédulité

Durant ses années de règne M. Lucien Bouchard, ex Premier ministre du Québec, a claqué la porte avec sept décrets improvisés à une possible enquête publique. Il a refusé à ces victimes toutes sortes d’indemnisation individuelles.

Le cas par cas, ça ne fonctionne pas, dit-il, prétextant la complexité et le nombre des recours devant les tribunaux. Il a conduit l’ensemble des orphelines et orphelins de Duplessis, comme un troupeau vers un abattoir, vers un recours collectif insignifiant. 

Pour que ces piétinés de l’État arrivaient à toucher une indemnisation de misère, jugée à l’époque scandaleuse, il fallait signer une quittance interdisant toute poursuite contre les gouvernements fédéral et provincial. L’indemnisation était d’environ de 15,000$ à chaque survivant. Cette libération trompeuse fut lourdement acceptée au profit du gouvernement québécois sous le poids de la pauvreté, de la maladie, du vieillissement et de l’analphabétisme de ces victimes. 

M. Lionel Lambert, un Longueuillois qui faisait lui aussi partie de ce groupe, avait refusé de signer l’acquittement qu’il jugeait étriqué. Il me répétait à plusieurs reprises avant son décès en 2018, qu’il était incapable d’accepté ce montant qui représentait pour lui, non seulement une insulte, mais aussi une humiliation insoutenable.  Quelques temps avant de mourir à l’âge de 81 ans, il accepté de signer, pardonnez-moi l’expression, cette putain de quittance pour décharger sa famille les frais de ses funérailles. 

Je me souviens encore de Jean-Guy Labrosse, un autre orphelin de Duplessis que j’ai interviewé dans le cadre d’une émission de radio quelques années avant son décès en 2015. Il me parlait de son livre autobiographique intitulé « Ma chienne de vie ». Le timbre de sa voix témoignait beaucoup plus d’un traumatisme persistant qui, à coup sûr, l’a tiré à vau-de-route vers sa tombe. 

M. Henri Barnabé, l’orphelin de Duplessis qui m’a marqué le plus 

M. Henri Barnabé est décédé le 21 septembre 2021 à l’âge de 83 ans. Une grande amitié nous a liés durant plus d’une vingtaine d’années. Il faisait partie de ces hommes d’exception qu’on rencontre rarement au cours d’une vie. On le connaissait comme un ardent défenseur de la souveraineté du Québec, et on le remarquait à cause de ses qualités exceptionnelles. 

Dans les années 50, lorsqu’il était âgé de 12 ans, on l’a transféré de la crèche de la Miséricorde pour aller travailler gratuitement sur des fermes à Rigaud, en Montérégie. Il me décrivait ses six années passées dans cette seconde captivité comme une descente aux l’enfers. Puis il me racontait ses premiers jours en tant qu’homme libre. Il me décrivait comment il cherchait à acquérir des outils pour affronter un nouveau monde à titre adulte alors qu’il était officiellement faussement déclaré malade mental dans la société. 

Toutefois, il gardait toujours un amour indéfectible à sa terre natale, le Québec. Lorsque je lui reprochais cet amour envers cet État ingrat qui ne reconnaissait pas la valeur de ses enfants, il me répondait avec son air cocasse : n’oublie pas Hadj mon profil médical! Il rêvait qu’on lui enlève cette étiquette de malade mental qui l’accompagnait durant toute sa vie. Il s’est éteint avec ce faux diagnostic en me mettant la puce à l’oreille de l’histoire des orphelins de Duplessis. Il me laissa en héritage une casquette que je ne porterai jamais. Il a tenu à porter cette caquette jusqu’à son dernier souffle.  

Des faits marquants

Pour avoir côtoyer et interroger des orphelins institutionnalisés de Duplessis durant tant d’années, je me suis fait une profonde idée de ces victimes. Je les entrevoyais incarcérés dans des hôpitaux, des crèches et des centres psychiatriques expérimentaux. À force d’avoir entendu à plusieurs reprises, par différents individus, la description des mêmes scènes et mêmes traitements, je peux l’imaginer la crèche de la « Miséricorde » comme si j’y avais séjourné durant des années. 

Après la mort de Henri et avec mes entrevues avec M. Hervé Bertrand, la nuit je rêvais des corps d’enfants orphelins transportés dans des brouettes de l’ancien Hôpital-Saint-Jean de Dieu vers une ferme adjacente où ouvert un cimetière improvisé, appelé dans le temps « la soue à cochons ». Ce lieu de sépulture était le lieu d’étouffement de ces corps d’enfants orphelins de Duplessis et d’enfants autochtones non réclamés. 

La Société des alcools du Québec sise sur un cimetière d’enfants

Le 04 février 1980, devant la cour Supérieur du Québec, Sœur Marie-Levaque, religieuse de la Congrégation des Sœurs de la Charité de la Providence, a estimé que plus de 2000 enfants étaient enterrés dans ce lieu sans étendue exacte. Son témoignage a été produit dans le cadre du procès intenté par les contracteurs de la SAQ contre la SAQ elle-même pour les coûts excédentaires liés à la découverte accidentelle d’ossements d’enfants lors de la construction de son premier entrepôt, en 1975. 

Aujourd’hui, ce terrain vendu par les Sœurs de la Charité de la Providence appartient à la Société des alcools du Québec « SAQ », Société d’État. En 1979, M. François Legault, à l’époque ministre de l’Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie, s’est rendu sur « la soue à cochons » et sans scrupule aucun, il lançait l’agrandissement du centre de distribution de la SAQ. 

Les fosses clandestines, les caveaux conçus pour dissimuler l’horreur d’hier sont vite recouverts de béton armé. La construction de ces bâtiments, l’agrandissement des entrepôts de la SAQ bardent « la soue à cochons » Ainsi on tente, encore une fois, d’effacer cette page d’histoire. On veut l’arracher à l’histoire du Québec à tout prix.

M. Hervé Bertrand à l’arrière, entouré d’autres orphelins institutionnalisés de Duplessis, Mme Kahentinetha Horn à sa droite.      Au centre avant : d’autres mères Mohawks et d’autres militants. Tous réunis à quelques mètres de « la soue à cochons » après une réunion tenue avec les représentants de la SAQ.  Montréal, 28 mars 2024.

Aucun monument n’est dressé à cet endroit en mémoire des victimes. Aucune fouille sérieuse et profonde n’a été complétée. Aucune volonté de déplacer les dépouilles de ces enfants enterrés dans ce lieu vers des cimetières respectables. Un geste qui serait peut-être considéré comme une mesure de réparation. Aucune préservation, ni protection de ces tombes et des sépultures anonymes.

Nestor et les Oubliés

Le 29 août 2025, M. Louis-Joseph Hébert, alias Nestor, un autre orphelin de Duplessis âgé de      87 ans appelle M. Hervé Bertrand. Il lui demande de lui rendre visite à l’hôpital Notre-Dame de Montréal.  Quelques jours auparavant, la police l’avait transporté à l’hôpital après l’avoir trouvé dans un état déplorable, couché par terre dans une allée de parc de la métropole du Québec. M. Louis-Joseph Hébert sentait ses jours comptés. La solitude et l’isolement pesaient lourdement sur une triste fin de vie qu’il voyait défiler devant lui.

M. Hervé Bertrand et M. Louis-Joseph Hébert, alias Nestor, à l’hôpital Notre-Dame de Montréal le 29 août 2025.

Affiche du film « Nestor et les Oubliés » (2006)

Nestor aussi n’est pas n’importe qui. Il était l’inspiration et le personnage principal du film de Benoît Pilon, intitulé Nestor et les Oubliés (2006). 

M. Louis-Joseph Hébert a joué Nestor et les Oubliés est l’image vivante des enfants orphelins crucifiés par Maurice Duplessis sur les croix des Frères de la Miséricorde du village d’Huberdeau dans les Laurentides au Québec. 

Trouver ce témoin de l’époque de la Grande Noirceur du Québec, à terre dans un parc au milieu de la nuit, corps dévoré par les punaises de lits, révèle un signe d’extrême pauvreté. La police était obligée de le transporter à l’hôpital pour qu’il soit l’hospitalisé. 

Selon lui, sa vie commence à prendre fin. Cet homme, jadis colosse et gaillard, est aujourd’hui affaibli par son vécu et les souvenirs d’une vie épouvantable. Toutefois, il demeure imminant témoin de plusieurs décrits liés aux orphelins de Duplessis, il porte la mémoire des orphelins institutionnalisés de Duplessis que le gouvernement québécois cherche à éclipser par la force de son mutisme.

M. Louis-Joseph Hébert, alias Nestor, a insisté pour que M. Hervé Bertrand non seulement lui rende visite à l’hôpital, mais aussi pour lui a demander d’apporter une enregistreuse afin d’enregistrer des bribes de souvenirs qui lui remontent en surface. Quand il m’a entendu parler de M. Henri Barnabé et le profond lien émotionnel qui nous lié, il m’a serré dans ses bras. Nestor aime les orphelins de Duplessis. Ils sont tous ses frères et ses sœurs nés d’une matrice saignante de l’histoire du Québec. D’ailleurs, M. Hervé Bertrand ne comprenait toujours pas pourquoi le gouvernement du Québec a rendu confidentielles les coordonnées des orphelins institutionnalisés de Duplessis. Ils n’ont jamais réussi à se regrouper tous ensemble, ces frères et sœurs d’âme. Leur Comité peine à retracer le peu de ces survivants à travers le Québec et ailleurs.

 « L’expression immédiate d’une douleur n’a rien à voir avec la littérature, sinon les hôpitaux seraient des maisons d’édition. » 

Jean-Pierre Milovanoff 

Emily ou la déraison (P.67)

L’histoire des orphelins institutionnalisé de Duplessis à l’étranger 

Il y’a quelques semaines, je m’entretenais avec une journaliste indépendante basée à Londres, Mme Simona Rata. Elle travaille sur un projet de podcast de six épisodes relatant l’histoire des enfants de Duplessis. J’étais impressionné par l’intérêt qu’elle porte à cette chronique de l’histoire du Québec. Elle cherchait à tout prix à interroger le maximum possible de ces survivants. Elle ne voulait surtout rien échappé de cette portion d’histoire qui lui tenait à cœur.

L’enterrement des orphelins institutionnalisés et l’absence de l’État

Le 27 août 2025 à 13h00, M. Hervé Bertrand et son vice-président, M. François Pelletier accompagné de Mme Kahentinetha Horn, grande militante, activiste des droits des autochtones, M. Philippe Blouin, PhD de l’université McGill, ardent défenseur des droits des autochtones se sont rendus au cimetière de Laval pour inhumer, le même jour, la même heure sept confrères et consœurs orphelins de Duplessis. Il s’agissait de M. Claude André Martin, Mme Micheline Baron, M. Ubald Cadieux, M. Marcel Desormeaux, M. Pierre Dupuis, M. Hector Irma, M. Serge Labranche. 

Le gouvernement de Maurice de Duplessis les avait arrachés de leur arbre généalogique pour faire d’eux des orphelins, des personnes sans racines, sans attaches réelles. Ils ont tous vécu pauvres, dispersés à travers le Québec et dans d’autres provinces canadiennes. Ils ont existé ou presque et sont morts dans une indifférence totale. Une fois incinérés au plus faible coût, le Curateur public envoie leurs urnes funéraires au Comité des orphelins de Duplessis pour les enterrer. Le Comité des orphelins institutionalisés de Duplessis a travaillé très fort pour obtenir un petit carré de terre au cimetière de Laval avec une pierre tombale en guise de monument à la mémoire de ces orphelines et orphelins institutionnalisés de Duplessis.

Les grands absents 

Pendant que je remettais au fossoyeur l’urne contenant les cendres de M. Pierre Dupuis, l’un des sept orphelines et orphelins de Duplessis, pour l’installer dans sa dernière demeure, une seule question pressée de douleur m’était venue à l’esprit, pourquoi, le Premier ministre du Québec ou l’un de ses représentants n’est-il pas à ma place? Notre Premier ministre a manqué une occasion en or pour refaire son image au sein de l’histoire du Québec.

Qu’en était-il des Ministres lors de ces enterrements, Mathieu Lacombe, Jolin Barette Simon, Rouleau Chantal, Ian Lafrenière ou Lionel Carmant.  

L’orgueil, l’ignorance et le désintéressement ne sont pas des signes de noblesse dans l’histoire d’un peuple. 

L’auteur de ces lignes en train de mettre en terre M. Pierre Dupuis, l’un des sept enfants orphelins de Duplessis enterrés le 27 août 2025 au cimetière de Laval, Québec.

Honoré d’être à cette cérémonie, je me sentis toutefois mal à l’aise, M. Pierre Dupuis, je ne le connaissais pas personnellement et je ne l’avais jamais rencontré. C’était au gouvernement du Québec d’être présent à cet instant.  C’est lui qui a coupé ces enfants de leurs arbres généalogiques. Ils sont partis seuls dans la vie et ils se sont rendus seuls à leurs tombes, sinon avec la présence de quelques honorables militants en défense des droits.

En portant entre les mains M. Pierre Dupuis, j’avais une forte pensée à M. Henri Barnabé. Durant cet honneur qu’on me faisait, je souhaitais de tout mon cœur, que le ciel s’ouvre et accueille à bras ouverts ces enfants martyres, victimes d’un crime commandé par un gouvernement indigne dans l’histoire du Québec.

L’auteur de ces lignes refermant la tombe des défunts. Ici, il est entouré de M. François Pelletier, vice-président du Comité des orphelins de Duplessis, de Kahentinetha Horn, activiste autochtone et mère Mohawks, Philippe Blouin, PhD de l’université McGill, ardent défenseur des droits des autochtones.

L’actuel gouvernement du Québec peut-il se rattraper ?

Pour se rattraper, le gouvernement du Québec devra donner plus que des excuses et des hommages ou encore des applaudissements. La réconciliation ne se fait pas avec le subterfuge politique.

Recommandations pour un gouvernement honorable :

  1. Faire reconnaître cette page d’histoire dans les manuels scolaires pour nos générations présentes et futures. L’histoire des orphelins de Duplessis est inconnue par notre jeunesse au Québec et encore moins ailleurs. Avec la mort du dernier survivant de ce drame, on risque de ne plus parler des orphelins de Duplessis. 
  1. Inclure dans le projet de loi no 64, loi instituant le Musée national de l’histoire du Québec, un volet dédié aux années sombres de ces victimes de Duplessis. Il ne faut pas avoir honte de montrer la vraie face de l’histoire d’un peuple, qu’elle soit assombrie, sinistre ou tragique. Dissimuler un tel drame est une autre tragédie.  
  1. Aller vers une vraie conciliation avec le reste des survivants. Ne pas les laisser partir ces citoyens dans le déchirement et la déception. Actuellement, ils ne sont pas nombreux pour être accueillis toutes et tous au salon Bleu de l’Assemblée nationale, signe d’une vraie reconnaissance et d’un pardon authentique. Un tel geste serait guérisseur et redonnerait, éventuellement, aux restes des victimes et leurs descendants un semblant de dignité. 
  1. Rouvrir le dossier de leur indemnisation et réindemniser aux montants de mérites toutes ces victimes de ce crime d’État.  

Agir avant le départ final

A l’instant de tracer ces lignes, je reçois un appel de M. Hervé Bertrand, il m’annonce la mort de deux autres orphelins de Duplessis, M. François Richer et M. Robert Dallaire. Ils étaient tous les deux au pensionnat du Mont-Providence. M. Hervé Bertrand cherche la présence de beaucoup de monde pour souhaiter à ses frères d’âmes un départ en paix vers l’éternel. 

Le départ et la fin imminente de ces survivants d’une sale histoire se poursuit dans l’insouciance totale de nos gouvernements. J’espère que ni Ruba, ni Hadj vont se lever seuls ou iront seuls enterrer le prochain orphelin institutionalisé de Duplessis surtout si celui-ci ou celle-ci a marqué l’histoire par son combat, ses œuvres, son courage et son dévouement à l’histoire, à la mémoire collective des orphelins institutionnalisés de Duplessis. 

Incontestablement, il revient au Premier Ministre du Québec d’abord de suffisamment s’instruire de l’évolution et de l’impact de cette courbe d’histoire sur la vie de ces victimes. Il pourrait aller agrandir le petit carré de terre mémorial des orphelins de Duplessis au cimetière de Laval ou celui de Saint-François d’Assise à Montréal et se recueillir honorablement, au nom de tout le Québec, à la mémoire des orphelins de Duplessis.

Hadj Zitouni

directeur général

Mouvement Action Justice

Organisme en défense des droits.

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